Stalker de Tarkovski|Paul Hartzuri

CINEMA

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ANALYSES

Stalker de Tarkovski

La Zone a-t-elle un sens ?

Paul Hartzuri, le 10 mars 2016

Stalker, film réalisé en 1979 par Andréi tarkovski raconte avant tout l’histoire d’un passage, d’une transition. Au cœur de ce film il y a la zone : endroit à l’accès interdit, lieu de tous les fantasmes et de toutes les peurs, qui renferment une chambre où, dit-on, tous les désirs peuvent se réaliser.

Dans cette œuvre librement inspiré de Pique-nique au bord du chemin roman culte de science-fiction, écrit par les fréres Strougatski, Tarkovski nous entraine à la suite de trois personnages réduit à leur plus simple évocation symbolique : l’écrivain symbole des arts, le professeur représentant de la science et Stalker, garant spirituel, qui doit le guider au cœur de la zone.

Ce n’est pas un hasard si, pour raconter cette histoire, Tarkovski a fait le choix de se départir de tous les ressorts classique de la science-fiction pour ne garder que l’essence même du roman qu’il se propose d’adapter. Il cherche ainsi à focaliser presque entièrement l’attention du spectateur sur l’image en elle-même afin d’éviter de le divertir ou de le surprendre.

C’est ainsi que Tarkovski peut sublimer le temps, l’espace et les émotions plutôt que de s’intéresser au côté surnaturel de la zone qu’il dépeint.

Tarkovski voulait donner l’impression que le film a été tourné en une seule très longue prise. C’est pourquoi le long-métrage est constitué principalement de plans-séquences avec peu de mouvements de caméra de sorte que le temps du récit est presque similaire à celui du visionnage. Comme l’écrivain et le professeur, nous accompagnons Stalker dans son voyage spirituel au sein de la Zone. Comme eux nous accomplissons notre transition.

Mais justement, que représente la Zone ? Rien en fait, sinon ce que l’on en fait, de l’aveu même du réalisateur qui déclare :

« La zone ne symbolise rien, pas plus d’ailleurs que quoi que ce soit dans mes films. La Zone, c’est la Zone. La Zone, c’est la vie. Et l’homme qui passe à travers se brise ou tient bon »
Le temps scellé, Andreï Tarkovski

Car bien plus que la signification profonde de cette Zone, ce qui intéresse Tarkovski c’est la transition des personnages à travers cet espace. Il y a d’ailleurs une scène tout particulière qui s’intéresse à cette idée, je parle bien sûr de la scène où les trois personnages sont sur le Trolley et entrent dans la zone. Dans cette scène, Tarkovsky manifeste visuellement cette transition vers la Zone à travers un changement de couleur. Le monochrome sépia maladif de la première partie du film laisse place à la verdure resplendissante de la Zone dans sa seconde partie. Quelle est la signification de ce changement ?

La réponse se trouve selon moi au cœur de la zone. Une fois les trois personnages parviennent au centre de la Zone, après avoir bravé les dangers et les mystères de cet espace, Stalker apprend aux deux hommes qui l’accompagnent le véritable fonctionnement de la pièce centrale qui n’exauce en fait que les désirs les plus profonds, les désirs inconscients et non les requêtes formulées. Sachant cela, l’écrivain et le chercheur se retrouve face à un dilemme : auront-ils le courage de se confronter à leurs désirs les plus inconscients quitte à découvrir leur véritable visage ? Apparemment pas.

Finalement ce que nous présente Tarkovski dans ce film c’est un pèlerinage spirituel et introspectif : le franchissement de la zone signifiant la transition d’une réalité externe à une réalité interne et subjective. A la fin de l’histoire on se rend compte à l’image de Stalker que ce pèlerinage n’a pas été vain car plus que la destination ce qui importe vraiment c’est le voyage. Même s’ils ne sont pas entrés dans la chambre qui exauce les désirs vrais et profonds, leur refus d’y pénétrer révéle qu’ils ont gagné la foi dans la réalité de la Zone et de ses miracles qui surpasse la réalité matérielle.

En définitive si l’essence de Stalker est si difficile à capter, et à exprimer c’est surement parce que ce film n’est que ce que l’on en retire et ce que l’on en fait.

Si vous n’avez pas déjà vu ce film, je vous invite fortement à le regarder, c’est un chef-d’œuvre inégalé qui influence encore le cinéma, avec comme plus récent exemple, Le Revenant d’Alejandro González Iñárritu. Il est la plus vivante incarnation de l’art Tarkovskien, c’est un à dire un art spirituel, plein du sentiment de la dignité humaine. Dans la préface de son livre mémoire qui revient sur sa carrière et sur sa vision du cinéma, Larissa Tarkovski, sa femme, dit d’ailleurs de lui :

« Andreï Tarkovski estimait que le pessimisme n’avait aucun rapport avec l’art, qui était, selon lui, d’essence religieuse. L’art nous donne la force et l’espoir devant un monde monstrueusement cruel et qui touche, dans sa déraison, à l’absurdité. »
Préface Le temps scellé, Larissa Tarkovski

Si vous voulez en savoir plus sur ce film, je vous invite à aller voir le premier épisode de Framed sur Stalker

Vous pouvez trouvez le film Stalker de Tarkovski par ici

Et Stalker : pic-nique au bord du chemin des frères Strougatski par ici

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Qui est Paul Hartzuri ?

Paul Hartzuri est un écrivain irascible qui vit en ermite entre la France et le Japon.
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